Après des témoignages d’hôtesses et de femmes pilotes relayés par une enquête de Radio France, la direction d’Air France annonce des mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, la plupart du temps commises par des pilotes et des chefs de cabine.

Mercredi, à l’issue d’une rencontre avec le ministre des Transports Philippe Tabarot, qui avait réclamé des “explications“, Anne Rigail, directrice générale d’Air France, a promis de renforcer “le dispositif de prévention et d’accompagnement des victimes” déjà en place, “avec un accent mis sur la sensibilisation et l’accélération de la formation de l’ensemble de nos personnels“.

Concrètement, la compagnie aérienne tricolore va ouvrir “une cellule d’écoute indépendante accessible par l’ensemble des salariés 24h/24 et 7j/7, et un service dédié à la lutte contre les discriminations et le harcèlement sera créé, rattaché directement au Directeur des ressources humaines“, a indiqué Anne Rigail. “La protection de nos 40 000 salariés est une priorité. Chacun doit pouvoir exercer ses fonctions sans craindre d’être confronté à du harcèlement ou à des agissements sexistes“, a-t-elle plaidé.

Dans une vidéo interne visionnée par Libération, Anne Rigail, accompagnée du directeur des ressources humaines, Patrice Tizon, a déclaré à l’ensemble des 40 000 salariés : “Nous devons tous considérer qu’aujourd’hui, ce type de situation est susceptible de se reproduire. J’attends de toute la ligne managériale que tout soit mis en œuvre pour que la parole s’exprime et les salariés se sentent protégés.”

Les pilotes “tout puissants” pointés du doigt
Dans l’enquête de Radio France, Lucie, commandante de bord et victime de harcèlement sexuel, dénonce la protection dont bénéficient les pilotes : “Je suis commandant de bord instructeur. S’ils font ça avec moi, qui suis leur supérieure hiérarchique, je vous laisse imaginer leur comportement avec les hôtesses. A chaque fois que j’ai subi ce genre d’évènement, j’ai signalé les faits à la direction, mais il n’y a jamais de sanction. Je suis même allée voir Anne Rigail en personne, récemment, pour l’alerter sur la situation. Mais rien ne bouge. On ne peut rien faire. Les pilotes sont tout puissants“.

Dominique, hôtesse de l’air, raconte un dîner avec deux pilotes lors d’une escale : “Durant le repas, ils tiennent des propos obscènes. En quittant le restaurant, je fais tomber ma carte bleue par inadvertance, qui tombe au pied du pilote. Il écarte alors les jambes, la ramasse puis se frotte le sexe avec avant de la mettre dans sa bouche. Il passe ensuite au-dessus de la table, se colle à mon visage et je comprends qu’il veut que je récupère ma carte bancaire avec ma bouche.

L’omerta sur les violences sexistes et sexuelles commis par des pilotes, défendus par le tout puissant syndicat majoritaire SNPL (Syndicat nationale des pilotes de ligne), sera-t-elle levée après ces mesures annoncées par Anne Rigail ? Selon un rapport d’audit commandé par la direction d’Air France et daté de septembre 2024, près de la moitié des hôtesses et stewards qui opèrent sur les vols long-courriers estiment que leurs relations avec les pilotes sont gênantes ou très gênantes. Le rapport conclut même à un “statut de toute-puissance des pilotes“, “entretenu par la direction“.

Parmi les syndicats, le SNPL n’a pas signé la charte anti-harcèlement au sein d’Air France : cette charte “n’est pas adaptée à notre vie de nomades“, a justifié Carl Grain, commandant de bord et président de la section Air France au SNPL, auprès de Radio France. “On a des principes fondamentaux dans notre société comme la présomption d’innocence. Souvent l’entreprise n’arrive pas à classer le dossier rapidement, même quand a priori il n’y a rien. Résultat : on a accusé à tort une personne qui en fait n’avait pas grand-chose à se reprocher“, a-t-il affirmé.

Seul un syndicat minoritaire de pilotes, Alter, a rencontré le ministre des Transports Philippe Tabarot pour être “partie prenante dans cette discussion“. Selon David Buchard, pilote et délégué chez Alter, les violences sexistes et sexuelles “révèlent aussi une gestion déficiente de la part de la direction d’Air France en matière de protection des salariés“. Le syndicat minoritaire réclame des formations en présentiel par des organismes extérieurs qui vont former les pilotes, les commandants de bord, les instructeurs, et “pas des auto-formations sur des iPads qui au mieux vont être ignorées ou pire raillées, ce qui va ne faire que renforcer le sexisme“. 

MeToo : Air France promet de lutter contre les violences sexuelles -les pilotes "tout puissants" pointés du doigt 1 Air Journal

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