Alors qu’en février, la Commission européenne ouvrait une enquête approfondie sur le plan de sauvetage révisé de la compagnie aérienne française Corsair, la compagnie rivale Air Caraïbes, consultée sur le sujet, monte au créneau et l’a assigné en référé pour obtenir la publication de ses états financiers.

Selon des informations du Monde, Air Caraïbes a assigné en référé, le 22 mai, sa rivale devant le tribunal de commerce mixte de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Christine Ourmières-Widener, la nouvelle PDG d’Air Caraïbes et de French Bee, les deux compagnies aériennes du groupe Dubreuil, veut obtenir « la publication des comptes de Corsair, qui ne l’ont jamais été ». L’audience doit se tenir le 14 juin. Interrogé par Le Monde, Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, indique effectivement « qu’il n’a pas encore publié les comptes 2022 », de sa compagnie. « Mais nous allons le faire », assure-t-il au journal.

Le nœud du conflit réside dans les modalités financières du plan de restructuration de Corsair, présenté fin 2023. Le plan de restructuration de la compagnie aérienne française a été initialement approuvé par la Commission en décembre 2020, consistant en deux mesures en faveur de Corsair : d’abord une aide à la restructuration d’un montant de 106,7 millions d’euros, accordée conformément aux lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration, et en second lieu, une aide compensatoire d’un montant de 30,2 millions d’euros pour les dommages subis en raison des mesures d’urgence mises en place par les gouvernements dans le contexte de l’épidémie de coronavirus pour la période du 17 mars 2020 au 30 juin 2020.

En septembre 2023, et c’est à partir de là que la commission européenne enquête, la France a informé la Commission de son intention de modifier le plan de restructuration de Corsair en vue de permettre à la compagnie aérienne de « recentrer ses opérations et de s’adapter au nouvel environnement commercial ». La France a fait valoir que le plan d’affaires sous-tendant le plan de restructuration de Corsair pour 2020 reposait sur des « hypothèses qui n’ont pas été confirmées et que des événements extérieurs exceptionnels, imprévisibles, ont eu un impact particulièrement défavorable pour Corsair », relève la commission. La France a par la suite soumis des modifications détaillées au plan de restructuration en décembre 2023 qui comprennent, entre autres, des ajustements aux instruments de financement existants ainsi que des incitations fiscales supplémentaires. Bruxelles déclenche finalement une enquête approfondie sur le plan de sauvetage révisé de la compagnie aérienne française Corsair et sur la question de savoir si ce plan peut rétablir sa viabilité à long terme tout en limitant les distorsions de concurrence. La CE « doute en particulier du rétablissement de la viabilité à long terme » de Corsair. Pire, la Commission souligne l’absence « de mesures suffisantes visant à limiter les distorsions de concurrence » avec les compagnies aériennes concurrentes, Air Caraïbes, French Bee, Air Austral et même Air France. Au contraire de Corsair, Air Caraïbes et French Bee, plutôt en équilibre financier instable, n’ont pas bénéficié de plan de restructuration.

Dans sa réponse à Bruxelles, Christine Ourmières-Widener pointe des manquements comme, l’obligation de rapporter tous les six mois l’évolution du plan ou le fait que « l’Etat a versé à Corsair 32 millions d’euros en plus du plan de restructuration de 2020 sans demander l’autorisation de la Commission européenne ». Enfin, Mme Ourmières-Widener souligne que « l’obligation de ne pas lancer de nouvelles destinations » n’aurait pas non plus été respectée par Corsair, comme l’a pointé la Commission. De même, Air Caraïbes affirme être le seul acteur du secteur à créer de l’emploi en outre-mer avec plus de 600 salariés. La compagnie met en avant qu’une aide à Corsair constituerait une concurrence déloyale à son égard, selon le magazine Challenge.

Les règles de l’UE en matière d’aides d’État, et plus particulièrement les lignes directrices sur les aides au sauvetage et à la restructuration, permettent aux États membres de soutenir les entreprises en difficulté, sous certaines conditions strictes. En particulier, lorsqu’une aide à la restructuration a été approuvée, l’État membre concerné peut, pendant la période de restructuration, demander à la Commission d’accepter des modifications du plan de restructuration et du montant de l’aide.

De son côté, Air France s’est abstenue de toute action juridique envers Corsair.

Air Caraïbes monte au créneau pour demander des comptes à Corsair 1 Air Journal

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