Les dirigeants de l’Union européenne ont demandé lundi soir à leurs compagnies aériennes d’éviter le survol de la Biélorussie, et appelé à une fermeture de l’espace aérien des 27 aux avions basés dans le pays où un appareil de Ryanair a été détourné dimanche pour permettre l’arrestation d’un journaliste d’opposition.

Cinq passagers du vol FR4978 de Ryanair entre Athènes et Vilnius, « dérouté » sous de faux prétextes dimanche vers l’aéroport de Minsk (une alerte à la bombe au nom du Hamas selon la dernière version officielle), n’auraient finalement pas pu reprendre leur trajet depuis la capitale biélorusse selon le gouvernement de Lituanie, dont Roman Protasevich et l’étudiante Sofia Sapega qui voyageait avec lui. Leur libération immédiate figure en tête de la déclaration adoptée par le Conseil européen dans la soirée du 24 mai 2021, qui contient également un appel à une enquête urgente de l’OACI sur cette incident « sans précédent et inacceptable » (l’organisation onusienne se réunira jeudi pour examiner une éventuelle violation de la Convention de Chicago, mais n’a aucun pouvoir de régulation), et l’annonce de nouvelles sanctions ciblées. Côté aérien, le Conseil appelle donc les compagnies aériennes basées en Europe « d’éviter le survol de la Biélorussie », et à l’adoption des « mesures nécessaires pour interdire le survol de l’espace aérien de l’UE par les compagnies biélorusses et leur accès aux aéroports » du Vieux continent.

Dans les faits, plusieurs compagnies aériennes n’avaient pas attendu le communiqué européen : airBaltic a très vite annoncé la modification de ses routes pour éviter le survol du pays qui venait de renvoyer l’ambassadeur lituanien, des décisions similaires étant annoncées par KLM Royal Dutch Airlines suite à l’appel de son gouvernement (son évaluation initiale avait conclu qu’il n’y avait « pas de risques pour la sécurité » dans le survol de la Biélorussie) ou Lufthansa, dont un Airbus A319 a été fouillé pendant deux heures lundi sur le tarmac de l’aéroport de Minsk suite à une « alerte de sécurité » avant de pouvoir s’envoler vers Francfort (la desserte de Minsk est suspendue). LOT Polish Airlines et Austrian Airlines ont-elles aussi annoncé la suspension de leurs vols vers Minsk, Wizz Air décidant de son côté de contourner l’espace aérien du pays..  

La CAA britannique a demandé aux compagnies ariennes du pays d’éviter le survol de la Biélorussie (British Airways a par exemple modifié la trajectoire d’un vol vers Kuala Lumpur), et dans la nuit une demande identique a été annoncée pour les compagnies françaises par le Secrétaire d’Etat aux transports Jean-Baptiste Djebbari. Air France n’avait pas encore réagi à l’heure de la rédaction.

« C’était bien un acte de piraterie, supervisé par un Etat » : cette déclaration du ministre irlandais des Affaires étrangères entre autres a été reprise par la low cost Ryanair, qui avait été critiquée pour le ton neutre de sa première déclaration : le CEO Michael O’Leary a parlé selon Newstalk de « détournement sponsorisé par l’Etat », et expliqué que l’incident avait été « très effrayant » pour les passagers et les équipages, « détenus sous garde armée ». La compagnie aérienne « débriefe l’équipage, qui a fait un travail phénoménal pour faire sortir cet avion et presque tous les passagers de Minsk au bout de six heures », a précisé le dirigeant, selon qui il semble que « certains agents du KGB ont également été débarqués à l’aéroport ».

La low cost suivra bien sûr les recommandations de l’aviation civile irlandaise, mais une interdiction de survol de la Biélorussie ne devrait avoir que « peu d’impact » sur les opérations : survoler la Pologne à la place de la Biélorussie n’est qu’un « ajustement mineur ».

Dans la pratique, la compagnie nationale biélorusse Belavia sera évidemment la plus affectée par ces décisions européennes, elle qui dessert en temps normal quelque 35 villes du Vieux continent (hors Russie), dont Paris, Nice, Charleroi ou Genève. L’aéroport de Minsk (sur le trajet habituel des vols entre l’Europe occidentale et l’Asie) accueille les avions d’airBaltic, LOT, Lufthansa, et en provenance de Russie Aeroflot, Ural Airlines et Utair ; mais aussi ceux d’Etihad Airways, Flydubai, Turkish Airlines, Turkmenistan Airways ou Uzbekistan Airways entre autres.

Parmi les autres réactions de lundi, on retiendra celle du syndicat de pilotes IFALPA, qui représente plus de 100.000 PNT dans plus de cent pays, et de son homologue européen ECA : ils disent « partager pleinement les préoccupations » exprimées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) concernant l’atterrissage forcé du vol Ryanair 4978 à Minsk, en Biélorussie, le 23 mai. « Les pilotes craignent que l’intervention de l’armée de l’air biélorusse a été décrétée pour des raisons politiques, en violation de la Convention de Chicago, et équivaut à un acte d’ingérence illégale, portant toutes les caractéristiques d’un détournement par l’État. Nous demandons une enquête indépendante sur cet événement et une réponse immédiate appropriée de la part des autorités chargées de la sûreté et de la sécurité ». Cet acte sans précédent d’ingérence illégale « va potentiellement bouleverser toutes les hypothèses sur la réponse la plus sûre aux alertes à la bombe en vol et aux interceptions. Sans la confiance et des informations fiables de la part des États et des fournisseurs de services de navigation aérienne, la gestion des deux types d’événements devient beaucoup plus risquée à gérer », ajoute leur communiqué commun.

L’IFALPA et l’ECA soulignent que le commandant de bord « a toujours la meilleure vue d’ensemble de la situation réelle à bord et doit être capable de réagir en fonction du niveau de risque, quelles que soient les circonstances extérieures. Toute mesure prise par les États pour faire face à une menace spécifique devrait renforcer la capacité de l’équipage à évaluer la situation de manière approfondie. Toute intervention militaire contre un aéronef civil constitue un danger délibéré pour la sécurité des passagers et de l’équipage. L’IFALPA et l’ECA exhortent les États et la communauté aéronautique internationale à enquêter et à prendre des mesures rapides contre des événements similaires. Nous demandons également à la compagnie aérienne de fournir un soutien complet aux pilotes et au personnel de cabine à bord, tant au cours de la future enquête que pour leur bien-être physique et mental après un événement aussi difficile et stressant ».

Détournement de Ryanair: l’UE veut fermer son espace aérien à la Biélorussie 1 Air Journal

©Belavia