Les compagnies aériennes s’attendent à perdre 84,3 milliards de dollars en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, avec des revenus en chute de 50% et une marge bénéficiaire nette de -20,1% selon la dernière étude de l’IATA. La situation devrait cependant s’améliorer en 2021.
L’Association du transport aérien international (IATA) a publié le 9 juin 2020 ses prévisions financières de l’industrie mondiale du transport aérien, encore plus pessimistes que les précédentes : les compagnies aériennes s’attendent à perdre 84,3 milliards $ en 2020, et les revenus vont chuter de 50% pour s’établir à 419 milliards $, contre 838 milliards $ en 2019 (soit -419 milliards donc, alors que mi-avril elle évoquait 314 milliards). Les principaux facteurs des prévisions pour 2020 sont détaillés dans son communiqué :
-La demande dans le secteur passagers s’est évaporée avec la fermeture des frontières internationales et le confinement des pays en vue de prévenir la dissémination du virus. Il s’agit du plus important facteur de perte pour l’industrie. Au moment du creux d’avril, le trafic aérien mondial était d’environ 95% inférieur à ce qu’il était en 2019. Des signes indiquent que le trafic reprend lentement. Néanmoins, les niveaux de trafic (en kilomètres-passagers payants) pour 2020 devraient chuter de 54,7% comparativement à 2019. Le nombre de passagers devrait être réduit de moitié, à 2,25 milliards, à peu près ce qu’il était en 2006. Cependant, la capacité ne peut être ajustée assez rapidement, et on s’attend à un déclin de 40,4% cette année.
-Les revenus du secteur passagers devraient diminuer pour s’établir à 241 milliards $ (contre 612 milliards $ en 2019). La chute est pire que la baisse de la demande, ce qui reflète selon l’IATA la diminution prévue de 18% des rendements, du fait que les compagnies aériennes vont tenter d’encourager les gens à voyager en offrant de meilleurs prix. Les coefficients d’occupation des sièges devraient s’établir à 62,7% en moyenne en 2020, soit quelque 20 points de pourcentage de moins que le taux record de 82,5% enregistré en 2019.
-Les coûts ne diminuent pas au même rythme que la demande. Les dépenses totales de 517 milliards $ seront en baisse de 34,9% par rapport à 2019, mais les revenus vont diminuer de 50%. Les coûts unitaires non liés au carburant vont augmenter brusquement de 14,1%, parce que les coûts fixes seront répartis parmi un moins grand nombre de passagers. L’utilisation réduite des aéronefs et des sièges fera aussi augmenter les coûts. Les prix de carburant représentent un certain soulagement. En 2019, le prix moyen du carburéacteur était de 77$ par baril alors qu’on s’attend à une moyenne de 36,8$ en 2020. Le carburant devrait représenter 15% des coûts (contre 23,7% en 2019).
-Le fret aérien est l’élément encourageant. Comparativement à 2019, le nombre total de tonnes de marchandises transportées devrait diminuer de 10,3 millions de tonnes pour s’établir à 51 millions de tonnes. Toutefois, une sérieuse pénurie de capacité attribuable à l’absence de capacité de soute des aéronefs de passagers (cloués au sol) devrait faire augmenter les taux de quelque 30% cette année. Les revenus du secteur du fret devraient atteindre un chiffre presque record de 110,8 milliards $ en 2020 (en hausse par rapport aux 102,4 milliards $ de 2019). Le cargo va représenter environ 26% des revenus de l’industrie aérienne, contre 12 % en 2019.
Demande pax | Capacité pax | Bénéfice net | |
(RPK) | (ASK) | (milliards $) | |
Monde | -54,70% | -40,40% | -84,3 |
Amérique du Nord | |||
Europe | -56,40% | -42,90% | -21,5 |
Asie-Pacifique | -53,8 % | -39,2 % | -29,0 |
Moyen-Orient | -56,1 % | -46,1 % | -4,8 |
Amérique latine | -57,4 % | -43,3 % | -4,0 |
Afrique | -58,5 % | -50,4 % | -2,0 |
Toutes les régions vont subir des pertes en 2020. La crise a d’après l’IATA pris des proportions comparables dans toutes les parties du monde, et les coupures de capacité accusent un retard d’environ 10 à 15 points de pourcentage par rapport à la chute de la demande de plus de 50%. Avec toutefois les différences suivantes :
–Amérique du nord : L’ampleur des marchés intérieurs d’Amérique du Nord et le soutien financier aux transporteurs américains en vertu de la loi CARES devraient jouer un rôle déterminant dans le redressement.
–Europe : Le rétablissement progressif des voyages intra-européens comporte un potentiel de stimulation de la reprise, à condition d’éviter les mesures de quarantaine onéreuses. Les conditions associées aux programmes d’aide gouvernementaux, notamment en matière environnementale, devront être soigneusement gérées pour éviter des conséquences involontaires comme une détérioration de la compétitivité.
–Asie-Pacifique : L’Asie-Pacifique a été la première région à subir la crise de la COVID-19. Elle devrait afficher les plus importantes pertes en chiffres absolus en 2020.
–Moyen-Orient : La baisse des prix du pétrole ajoute une pression supplémentaire sur la situation économique difficile de la région. La reprise du trafic dans les grands aéroports de transit de la région pourrait être retardée par le redémarrage graduel des vols intérieurs et régionaux, suivi des vols internationaux long-courriers.
–Amérique latine : L’Amérique latine est entrée en crise avec un certain retard. Les gouvernements de la région ont mis en place des mesures parmi les plus strictes en termes de fermeture des frontières, ce qui pourrait retarder et ralentir la reprise.
–Afrique : On ne mesure pas encore entièrement la progression du virus dans cette région. Néanmoins, les fermetures de frontières ont pratiquement éliminé les vols. Il faudra faire appel aux donateurs internationaux pour apporter un supplément aux ressources limitées des gouvernements en matière de programmes d’aide.
« Financièrement, l’année 2020 aura été la pire de l’histoire de l’aviation. En moyenne, chaque jour de cette année apporte des pertes de 230 millions $ pour l’industrie. Au total, des pertes de 84,3 milliards $. Cela signifie que selon le nombre prévu de 2,2 milliards de passagers cette année, les compagnies aériennes vont perdre 37,54 $ par passagers. C’est pourquoi l’aide financière gouvernementale était et demeure vitale pour les compagnies aériennes qui épuisent leurs réserves de trésorerie », a déclaré Alexandre de Juniac, PDG de l’IATA.
« Pourvu qu’il n’y ait pas une deuxième vague encore plus néfaste de COVID-19, le pire de cet effondrement du trafic est probablement derrière nous. La clé de la reprise réside dans la mise en œuvre universelle des mesures de redémarrage adoptées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour assurer la sécurité des passagers et des équipages. Et grâce au suivi efficace des contacts, ces mesures donneront aux gouvernements la confiance nécessaire à l’ouverture des frontières sans mesures de quarantaine. C’est un aspect important de la reprise économique, parce qu’environ 10 % du PIB mondial provient du tourisme et que cette industrie dépend grandement du transport aérien. En s’assurant que les gens peuvent à nouveau voyager en toute sécurité, on stimulera puissamment l’économie », ajoute M. de Juniac.
📉 "Financially, 2020 will go down as the worst year in the history of #aviation"
IATA's new financial outlook shows that airlines are expected to lose $84.3 billion this year due to the #COVID19 crisis.
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— IATA (@IATA) June 9, 2020
Diminution des pertes en 2021 : avec l’ouverture des frontières et l’augmentation de la demande en 2021, l’industrie devrait réduire substantiellement ses pertes à 15,8 milliards $, pour une marge bénéficiaire nette de -2,6 %. Les compagnies aériennes seront en mode « rétablissement », explique l’IATA, mais les activités demeureront bien au-dessous des niveaux d’avant la crise (2019) quant à plusieurs indices de performance :
• Le nombre total de passagers devrait rebondir pour atteindre 3,38 milliards (comparable à 2014, où il y a eu 3,33 milliards de passagers), ce qui est bien inférieur au chiffre de 4,54 milliards atteint en 2019.
• Le total des revenus devrait s’élever à 598 milliards $, soit 42 % de mieux qu’en 2020, mais inférieur de 29 % aux 838 milliards $ de 2019.
• Les coûts unitaires devraient diminuer puisque les coûts fixes seront répartis parmi un plus grand nombre de passagers qu’en 2020. Mais le maintien des mesures d’endiguement du virus va limiter les gains en réduisant les taux d’utilisation des aéronefs.
• L’empreinte accrue du fret dans l’industrie aérienne va persister. Les revenus du fret aérien vont atteindre le chiffre record de 138 milliards $ (en hausse de 25% par rapport à 2020). Cela représente environ 23% des revenus totaux de l’industrie, soit environ le double de la proportion historique. La demande dans le secteur du fret aérien devrait être forte parce que les entreprises vont reconstituer leurs stocks au début de la reprise économique, tandis que la lente remise en service des avions de passagers va limiter la croissance de la capacité de fret et maintenir les rendements aux niveaux de 2020.
• Les prix du carburéacteur devraient augmenter pour atteindre une moyenne de 51,8 $ par baril pour l’année, alors que l’activité économique mondiale et la demande de pétrole vont augmenter. Bien que cela doive ajouter une certaine pression sur les compagnies aériennes, le prix par baril sera semblable à ce qu’il était en 2016 (52,1 $) et il demeurera à son plus bas niveau depuis 2004 (49,7 $).
« Les compagnies aériennes seront financièrement fragiles en 2021. Les revenus du secteur passagers seront amputés de plus du tiers par rapport à 2019. Et les transporteurs aériens devraient accuser des pertes d’environ 5 $ pour chaque passager transporté. La réduction des pertes proviendra des réouvertures de frontières qui feront augmenter le nombre de passagers. La vigueur des opérations de fret et les prix relativement faibles du carburant vont aussi stimuler l’industrie. La concurrence parmi les compagnies aériennes sera sans doute plus intense. Cela se traduira par de fortes mesures incitatives pour amener les voyageurs à prendre l’avion. Le défi pour 2022 sera de transformer les pertes réduites de 2021 en bénéfices. Les compagnies aériennes en auront besoin pour rembourser les dettes accumulées durant cette terrible crise », précise M. de Juniac.
Malgré des pertes substantiellement réduites en 2021 par rapport à 2020, la reprise de l’industrie sera longue et difficile, en raison des facteurs suivants :
• Niveau d’endettement : les compagnies aériennes ont commencé l’année 2020 en relativement bonne position financière. Après une décennie de profits, le niveau d’endettement était relativement bas (430 milliards $, soit environ la moitié des revenus annuels). Les mesures d’aide essentielles des gouvernements ont permis aux compagnies aériennes d’éviter la faillite, mais elles ont accentué l’endettement de 120 milliards $. La dette totale est passée à 550 milliards, soit environ 92 % des revenus prévus pour 2021. Les prochaines mesures d’aide devraient viser à aider les compagnies aériennes à générer davantage de fonds de roulement et stimuler la demande plutôt qu’augmenter encore la dette.
• Efficience opérationnelle : les mesures mondiales adoptées pour le redémarrage de l’industrie vont substantiellement modifier les paramètres opérationnels durant la période où elles seront appliquées. Par exemple, la distanciation physique durant l’embarquement et le débarquement, le nettoyage plus en profondeur et l’augmentation des vérifications en cabine vont faire en sorte que les activités prendront plus de temps et que l’utilisation des aéronefs sera réduite.
• Récession : la profondeur et la durée de la récession qui s’annonce vont avoir des incidences importantes sur la confiance des entreprises et des consommateurs. La demande refoulée devrait entraîner une reprise initiale du nombre de voyages, mais pour soutenir cette reprise, il faudra des mesures d’incitation et cela pèsera sur les profits.
• Confiance : les habitudes de voyage vont probablement changer. L’ouverture graduelle des voyages aériens se fera sans doute par étape, en commençant par les marchés intérieurs, suivis par les marchés régionaux et finalement les marchés internationaux. Une étude suggère que quelque 60 % des voyageurs seront impatients de recommencer à voyager quelques mois après que la pandémie sera maîtrisée. Mais la même étude indique aussi que dans une proportion encore plus grande, les voyageurs potentiels prendront leurs décisions en fonction de leur situation financière personnelle (61 %) et selon que des mesures de quarantaine seront en place (plus de 80 %).
« Les gens vont vouloir prendre l’avion à nouveau, à condition d’avoir confiance dans leur situation financière personnelle et dans les mesures prises pour assurer la sécurité des voyageurs. Il n’y a pas de stratégie éprouvée pour la reprise après la COVID-19, mais le plan de redémarrage de l’OACI intitulé Paré au décollage énonce des mesures harmonisées à l’échelle mondiale et approuvées par les experts de la santé et de l’industrie. Il est important que l’industrie et les gouvernements s’y conforment pour que les voyageurs aient un maximum de confiance sur le plan de la sécurité. Ce sera un bon départ. Et selon l’évolution de la pandémie, l’approfondissement de nos connaissances
sur le virus ou l’amélioration de la science, l’industrie et les gouvernements seront mieux préparés à réagir de manière coordonnée à l’échelle mondiale. Cela inclut le retrait potentiel des mesures quand ce sera sécuritaire. Cela permettra aux compagnies aériennes de respirer et de restaurer la demande pour rétablir les bilans », conclut M. de Juniac.
Manuel a commenté :
10 juin 2020 - 10 h 10 min
Une réduction de bénéfice n’est pas une perte, éventuellement un manque à gagner.