La Cour des comptes a rendu public un rapport sur le processus de privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, le premier présentant de graves insuffisances et demeurant inabouti tandis que les suivants ont été améliorés. De manière générale, les procédures de cession prennent insuffisamment en compte la dimension industrielle, environnementale et sociale des projets. L’État doit définir précisément les intérêts qu’il entend préserver, se doter d’une stratégie globale et conserver un haut niveau d’information sur les décisions affectant la qualité du service public aéronautique.
Demandé par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le rapport passe au crible les trois ouvertures du capital de sociétés aéroportuaires en France : celles de Toulouse-Blagnac (en 2015), Nice-Côte d’Azur et Lyon-Saint Exupéry (en 2016). Des privatisations qui se sont déroulées dans un contexte de forte croissance du trafic aérien, « avec des niveaux de valorisation supérieurs aux attentes de l’État actionnaire », rappelle la Cour des comptes (2,06 milliards d’euros récoltés), et même si le processus de privatisation de l’aéroport toulousain « a révélé de graves insuffisances et demeure inabouti, il a été amélioré pour Lyon et Nice ». L’Etat s’était donné un objectif premier d’ordre financier, sous réserve qu’il permette le développement du trafic aérien, qu’il renforce la connectivité des territoires et favorise leur activité économique et l’emploi. Voici le constat de la Cour des comptes:
Toulouse, une privatisation inaboutie
Pour l’agence des participations de l’État (APE), la cession des parts de l’État dans le capital de la SAR Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) constituait un test de sa capacité à privatiser un aéroport. L’opération a abouti à la vente, le 17 avril 2015, au consortium Symbiose de 49,99% des parts de la SAR, pour un prix de 308 M€ (le consortium est constitué à 51% d’une entreprise publique chinoise, Shandong Hi-Speed Group, et à 49% de Friedmann Pacific Asset Management, un fonds d’investissement implanté à Hong-Kong et domicilié dans les îles Vierges britanniques). Le prix offert par Symbiose était supérieur de 17,7% à celui proposé par l’acquéreur éventuel, qui venait en second « et valorisait à 18,5 fois l’EBITDA de 2013 ». Mais le processus choisi a révélé de graves insuffisances : les critères de recevabilité des candidats étaient peu exigeants et limités à leur capacité financière, l’APE ayant choisi de ne pas exiger d’expérience en matière de gestion aéroportuaire ; elle a, par ailleurs, insuffisamment associé, et de manière trop tardive, les autres administrations de l’État, notamment la DGAC. De fait, l’acquéreur retenu a suscité des inquiétudes, en raison de son absence d’expérience en matière de gestion aéroportuaire, de son manque de transparence financière et de ses liens avec la puissance publique chinoise.
Le choix a été fait d’une opération de cession en deux temps, rappelle la Cour des comptes. Dans un premier temps, l’État a cédé 49,99 % du capital à l’acquéreur, cession accompagnée de la conclusion d’un pacte d’actionnaires avec celui-ci, destiné à permettre à ce dernier d’exercer le contrôle opérationnel de la société. Dans un deuxième temps, l’État se réservait d’exercer une option de vente à l’acquéreur des 10,01 % du capital d’ATB qu’il détient encore, l’acquéreur s’engageant à les acheter à un prix défini à l’avance ; mais l’État a indiqué en février 2018 qu’il n’avait pas l’intention d’exercer cette option de vente. La privatisation demeure donc inaboutie et la société ATB « reste dans la situation, ambiguë et instable, d’une entreprise dont le capital est majoritairement public, mais dont le contrôle appartient à l’actionnaire privé par l’effet du pacte d’actionnaires qu’il a conclu avec l’État ». Les difficultés dans la gouvernance de la société sont d’autant plus paradoxales, écrit le rapport, que les résultats d’exploitation de l’aéroport sont satisfaisants et qu’il n’y a pas de vraie divergence sur la stratégie de l’aéroport, l’actionnaire privé et les actionnaires locaux n’étant en désaccord que sur la politique de dividende.
Lyon et Nice, un processus amélioré
La Cour des comptes rappelle que l’article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, qui a autorisé la privatisation des SAR de Lyon et de Nice, a ajouté aux dispositions de droit commun régissant les privatisations des exigences spécifiques à la privatisation des sociétés aéroportuaires, notamment l’autorisation par la loi du transfert au secteur privé de la majorité du capital d’un aéroport, l’approbation par l’aviation civile du cahier des charges de l’appel d’offres (avec précision des obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire, et des obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l’aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales), ou la nécessité pour l’acquéreur d’une expérience préalable dans la gestion d’un aéroport.
Au-delà même des exigences découlant de la loi, les cahiers des charges de Lyon et Nice ont fortement évolué par rapport à celui de Toulouse avec des critères de recevabilité des candidats plus exigeants, des exigences de transparence financière renforcées, un enrichissement du contenu des offres, une procédure ajustée et impliquant davantage les actionnaires locaux et la mise en place d’un engagement contractuel des candidats sur les
modalités de respect des objectifs posés par la loi du 6 août 2015. De fait, les opérations de privatisation des aéroports de Nice et de Lyon n’ont pas conduit à la répétition des difficultés qui avaient été constatées dans l’opération toulousaine. La concertation avec les acteurs locaux a été bien menée, « malgré une maladresse à leur égard en fin de procédure » : le choix de retenir deux finalistes parmi les candidats ayant déposé une offre ferme ne leur a pas été suffisamment expliqué. Le choix des acquéreurs a finalement satisfait les acteurs locaux, tant à Lyon qu’à Nice, et la gouvernance des deux sociétés aéroportuaires « apparaît maintenant sereine », souligne le rapport.
Un consortium constitué de Vinci Airports (51 %), la Caisse des dépôts et consignations
(24,5%) et Predica (24,5%), a ainsi acquis le 3 novembre 2016 la participation de 60 % détenue par l’État au capital de la société Aéroports de Lyon (ADL), pour un montant de 535 M€, soit 21,2 fois son EBITDA. Le même jour, le consortium Azzura, composé du groupe italien Atlantia (65,01%), d’Aeroporti di Roma (10%) et d’EDF Invest (24,99%), a acquis les parts de l’État dans la SAR Aéroports de la Côte d’Azur pour un montant de 1,222 Md€, soit 22,1 fois son EBITDA. Dans les deux cas, le candidat retenu est celui qui avait offert le prix le plus élevé, l’écart entre la meilleure offre et la suivante étant de 1,9% à Lyon et de 1,5% à Nice. Si les objectifs financiers de l’État ont été dépassés, des procédures restent à améliorer et le suivi des engagements pris par les acquéreurs doit être renforcé, juge cependant la Cour des comptes.
Les objectifs financiers de l’État ont été dépassés : les trois aéroports ont été valorisés à des niveaux qui n’avaient pas été anticipés, les candidats à l’acquisition ayant proposé des prix élevés au regard de privatisations comparables. L’attractivité de ces plateformes et les perspectives de croissance de leurs résultats expliquent qu’un nombre suffisant de candidats, nationaux ou non, s’y soient intéressés. Toutefois, des sources de malentendus ont pu subsister dans les cahiers des charges, en particulier sur le devenir des cadres de régulation de ces aéroports. La qualité de définition des offres est, en effet, conditionnée par la visibilité à moyen terme fournie aux candidats sur les conditions d’exploitation des plateformes.
Des procédures à fiabiliser : les procédures mises en œuvre à Nice et à Lyon, tenant compte des insuffisances révélées dans la procédure toulousaine, apparaissent plus robustes et conformes aux standards internationaux. Trois sujets appellent cependant des réflexions particulières. Les intérêts à préserver dans ces opérations ont été précisés par la loi du 6 août 2015 et dépassent désormais le seul prix de vente pour englober les intérêts du transport aérien et ceux des territoires concernés en matière d’attractivité économique et touristique. Dès lors, il importe que les prescriptions du cahier des charges relatives aux projets industriels des candidats soient plus explicites et engageantes, de manière à rendre ces projets comparables sur un horizon raisonnable. Les engagements souscrits par les candidats doivent être formalisés et leur non-respect assorti de sanctions.
Tout au long des procédures, l’APE recourt à des conseils financiers ou juridiques pour
préparer les privatisations puis pour analyser les offres, mais elle ne s’entoure pas de conseils spécialistes de l’activité aéroportuaire. Or, dans la mesure où la loi demande à prendre en compte la qualité des projets industriels et leur impact sur les territoires, la comparaison de ces projets industriels et leur cohérence avec les offres financières sont une nécessité qui appelle une expertise spécifique existant au moins pour partie à la DGAC. Enfin, la question des conflits d’intérêts entre conseils de l’APE et candidats, croissant avec le nombre de ceux-ci, doit être anticipée et traitée avec la plus grande fermeté pour limiter les risques contentieux ou au moins d’image. Les contrats doivent notamment permettre à l’APE de réagir sans délai en renforçant les exigences de déclaration des situations à risque par les banques conseil et en saisissant systématiquement la Commission des participations et des transferts de telles situations.
La nécessité de maîtrise des investissements étrangers en France : deux privatisations sur les trois ont abouti à la sélection d’un acquéreur étranger, témoignant ainsi de l’ouverture réelle de ces procédures et de l’acceptation par notre pays de la compétition internationale. Le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, pris antérieurement aux trois opérations, n’apparaît néanmoins pas adapté aux cessions des participations de l’État dans la mesure où la demande d’autorisation au ministre de l’économie n’intervient qu’une fois l’acquéreur désigné publiquement par ce même ministre à l’issue de l’analyse des offres qu’il a reçues. Ce dispositif, de droit commun, doit être adapté à la situation particulière des cessions de participations publiques pour intervenir plus en amont, antérieurement au choix de l’acquéreur par le ministre, par exemple au niveau de la recevabilité des candidatures.
Le maintien d’une capacité d’agir de l’État postérieurement à la privatisation : l’État est garant des conditions d’un développement équilibré du trafic aérien. Il traduit ses prescriptions dans le contrat de concession et le cadre de régulation, qui fixent les conditions d’exploitation des aéroports, qu’ils soient privés ou publics. Toutefois, postérieurement à une privatisation, il est souhaitable que la DGAC conserve un haut niveau d’information sur les décisions de gestion susceptibles d’affecter la qualité du service public aéronautique. La présence d’un de ses représentants aux instances de gouvernance (sans voix délibérative) comblerait cette lacune, sans pour autant s’ingérer dans la gestion de la structure.
L’indispensable suivi des engagements des acquéreurs : À Toulouse en particulier, la Cour a constaté le dépit de plusieurs actionnaires minoritaires au regard de ce qu’ils estiment être un non-respect d’engagements pris à leur égard par les acquéreurs chinois durant la procédure de privatisation. Afin de s’assurer du respect des dispositions de la loi du 6 août 2015, qui compte parmi les intérêts à préserver ceux des territoires, la mise en place et le fonctionnement des comités de suivi des engagements des candidats, prévus dans les cas de Lyon et Nice, s’imposent à court terme. Pour pouvoir jouer leur rôle, ces comités pourraient être placés sous l’autorité du préfet du département.
La Cour des comptes juge qu’à ce jour, les privatisations n’ont ainsi pas conduit à remettre en cause la gestion des aéroports concernés, ni les nombreux outils de régulation dont dispose l’État pour encadrer leur activité et faire préserver les intérêts du service public du transport aérien. Toutefois, l’absence de recul appelle à la prudence, et plusieurs améliorations proposées par la Cour visent à garantir l’efficacité de ces leviers à plus long terme. Enfin, les cessions aéroportuaires doivent être précédées d’une réflexion de l’État « quant à la stratégie à adopter face à certains investisseurs étatiques étrangers », conclut le rapport. Rappelons que la prochaine privatisation d’aéroport devrait concerner le groupe ADP.
Amanda Lear a commenté :
14 novembre 2018 - 20 h 41 min
Rappelez moi qui était ministre de l’économie à l’epoque ?
Airbid a commenté :
15 novembre 2018 - 9 h 02 min
Procédure commencée par Montebourg et terminée par Macron. Donc un partout et ceci explique peut être cela.
En tout cas cette affaire aura été bénéfique pour les privatisations de Nice et Lyon.
Bragon a commenté :
16 novembre 2018 - 8 h 38 min
Elle a surtout été bénéfique pour les acquéreurs. Quant au développement de ces aéroports, ça aurait très bien pu se faire sans les brader à des margoulins de la finance.
Et pour ce qui est de Toulouse, Montebourg n’y est pas pour grand chose, le responsable de cette vente scandaleuse n’est autre que notre président.
Lisez un peu plus Mediapart, vous apprendrez beaucoup de chose sur les magouilles concernant le privatisations de NOS aéroports…
ATC a commenté :
2 décembre 2018 - 23 h 12 min
La privatisation de l’aéroport de Toulouse a surtout permis aux chinois de vider les caisses. Ils ont siphonné l’épargne accumulée depuis des années. Pas fair play mais excellente affaire pour eux. Pour les employés, et les compagnies qui paieront plus certainement pas ! Mais ça, on en a rien à faire en hauts lieux.