Les données du cockpit voice recorder (CVR), l’une des deux boîtes noires du vol Alaska Airlines, ont été malencontreusement effacées, en raison d’une faiblesse stratégique : sa durée d’enregistrement. Une situation embarrassante pour les enquêteurs, le NTSB réclamant des améliorations…
Les enquêteurs ne sauront jamais exactement ce que disaient les pilotes d’Alaska Airlines la semaine dernière dans les premiers instants chaotiques et bruyants après qu’un bouchon de porte s’est détaché d’un Boeing 737 MAX 9, laissant un trou sur le côté de son fuselage peu après le décollage. Ca r l’enregistreur vocal du cockpit, l’une des boîtes noires pratiquement indestructibles présentes à bord de chaque avion de ligne, présente une faiblesse critique selon les normes américaines : une courte durée de mémoire. Au bout d’un cycle de deux heures, l’enregistrement redémarre, effaçant les données précédentes.
C’est un facteur qui a eu un impact sur 10 enquêtes au cours des cinq dernières années, dont plusieurs enquêtes sur des quasi-collisions sur les pistes d’atterrissage américaines en 2023, selon la présidente du National Transportation Safety Board (NTSB), Jennifer Homendy. Elle appelle la Federal Aviation Administration (FAA) à exiger une fenêtre d’enregistrement de 25 heures pour l’enregistreur vocal du poste de pilotage de tous les avions, une durée qui est déjà une exigence standard en vertu de la réglementation européenne des compagnies aériennes pour les avions construits après 2021.
L’année dernière, la FAA a proposé d’exiger 25 heures d’enregistrement pour les enregistreurs vocaux du poste de pilotage. Mais cela ne s’appliquerait qu’aux avions nouvellement fabriqués, a noté Homendy, ajoutant qu’elle souhaite que la FAA modifie sa proposition et exige que les avions actuellement en vol soient modernisés. « Vous pouvez facilement installer un autre enregistreur vocal dans le cockpit et augmenter la durée de deux heures à 25 heures », a-t-elle déclaré dimanche soir.
Il existe un processus permettant de geler l’enregistrement et d’empêcher tout écrasement ultérieur. Un mécanicien ou un pilote peut couper l’alimentation de l’enregistreur, le conservant ainsi comme une capsule temporelle qui pourra ensuite être téléchargée dans un laboratoire spécialisé, comme celui du NTSB à Washington ou le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) français. Alaska Airlines a tenté de le faire dans ce cas, a suggéré Homendy lors de la conférence de presse. Après l’atterrissage de l’avion à Portland, les responsables de la compagnie aérienne étaient occupés à installer leur centre d’opérations d’urgence. Ils ont finalement envoyé un mécanicien pour examiner l’enregistreur vocal. «Le disjoncteur du CVR n’a pas été tiré. L’équipe de maintenance est allée le chercher, mais c’était juste au bout de deux heures environ », a-t-elle expliqué. « C’est malheureusement une perte pour nous, une perte pour la FAA et une perte pour la sécurité. Ces informations sont essentielles non seulement pour notre enquête, mais aussi pour améliorer la sécurité aérienne. »
Le Congrès devrait prendre des mesures dans le cadre du projet de loi sur la ré-autorisation de la FAA afin de garantir l’adoption de la règle proposée, a déclaré Mme Homendy. Les deux agences se sont déjà opposées par le passé sur la manière dont les recommandations du NTSB sont mises en œuvre.
Grinch' a commenté :
10 janvier 2024 - 9 h 32 min
Je ne suis pas certain de comprendre exactement le cinquième paragraphe “Il existe un processus permettant de geler…”
De ce que je pense avoir saisi :
Les pilotes n’ont pas coupé l’alimentation électrique du CVR durant le vol, et une fois au sol, les équipes de maintenance de la compagnie ont travaillé sur l’avion durant deux heures (ou quasiment deux heures) avant qu’un mécanicien réalise que ce CVR était justement resté alimenté.
D’où deux heures d’enregistrement audio correspondant à ces deux heures de maintenance (ou presque deux heures, suffisamment en tout cas pour que les conversations des pilotes soient perdues).
C’est bien cela ? Quelqu’un peut-il m’éclairer ? Merci.
1PNT a commenté :
10 janvier 2024 - 11 h 24 min
Bonjour,
Le CVR étant sur un disjoncteur, la procédure veut qu’on le tire au sol. On ne tire aucun breaker en vol chez Boeing sauf besoin impératif de sécurité (et il faudrait avoir une sacré bonne raison de le faire).
Normalement, une fois au sol, frein de parc serré, il y a une procédure supplémentaire à dispostion des pilotes pour sécuriser le CVR.
Elle n’est jamais vue, jamais pratiquée, jamais réalisée pour 99.999% des pilotes.
Donc s’en souvenir lorsqu’on vient de faire une procédure d’urgence que l’on doit débriefer, et que la maintenance + les cadres vont sauter dans l’avion si tôt la porte ouverte pour “débriefer” eux aussi ; ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
En tout état de cause, la maintenance d’ASA aurait dû sécuriser le CVR dès qu’ils ont eu accès à l’avion. Et non pas 2 heures après avoir commencé à travailler sur l’avion comme vous l’avez bien compris. Leur process à ce niveau là est clairement à revoir…
Grinch' a commenté :
10 janvier 2024 - 11 h 53 min
Merci 1PNT d’avoir éclairé le profane que je suis.
Cousinhub a commenté :
11 janvier 2024 - 10 h 20 min
D’où peut-être l’intérêt certes d’augmenter la capacité du CVR ce qui est prévu mais aussi de mettre un automatisme de coupure une fois les moteurs arrêtés non ?
Thomas E. a commenté :
10 janvier 2024 - 9 h 48 min
Heureusement que le CVR n’est pas un élément fondamental pour dans cet incident, on aurait eu juste droit à la surprise des pilotes quand ils se sont fait décoiffer par l’ouverture inopinée de la porte du cockpit… pour le reste, ils ont très bien gérer la situation.
Ah Bon ? a commenté :
10 janvier 2024 - 12 h 49 min
Les derniers mots enregistrés par le CVR sont ceux du mécanicien : “Quel avion de m…”
Justin Fair a commenté :
10 janvier 2024 - 12 h 38 min
Pour une fois sur AJ, au sujet d’un accident, deux bons commentaires par 1 PNT et Thomas E. …
+1 !
MAX a commenté :
10 janvier 2024 - 13 h 53 min
Ça fait partie des faiblesses du MAX et son désavantage par rapport au 320.
1) pas de système de sécurité EICAS alors qu’une loi avait été votée (Aircraft Safety & Certification Reform Act) mais Boeing a manoeuvré pour obtenir une dispense.
2) Une durée d’enregistrement très faible , 12 fois moins….ce qui est énorme.
Il serait peut être temps que l’oncle Sam se mette à la page au niveau sécurité !
On comprend pourquoi Boeing a perdu des parts de marché considérables sur les mono-couloirs…
MAX a commenté :
10 janvier 2024 - 14 h 26 min
Cela peut donner des arguments aux Chinois pour freiner et réduire les commandes de MAX et accélérer la production du C919, mais aussi voir avec Airbus pour augmenter la production famille 320, voire ouvrir une nouvelle FAL.
maverick a commenté :
10 janvier 2024 - 20 h 24 min
B 737 NG FCOM :
CVR en mode auto :
– s’active dès le démarrage du premier moteur; jusqu’à 5 minutes après la coupure du dernier moteur .
Les enregistrements dépassant les 120 minutes ( older than 120 min) sont automatiquement effacés . Ce qui implique que si l’on veut sauvegarder l’enregistrement il faut impérativement , à l’arrivée, désactiver le CVR en tirant son Breaker AVANT la coupure du dernier moteur en marche .
Comme il est dit plus haut par un collègue averti, les pilotes déjà bien choqués par un tel évènement sur un avion si neuf …on oublié, omis, de le faire, ou n’ont jamais été instruits quant à cette procédure du fait de la rareté des occasions .
Grinch' a commenté :
11 janvier 2024 - 10 h 30 min
Merci Maverick pour votre réponse qui complète et précise celle de 1 PNT (et au passage, j’approuve la remarque de Justin Fair : ça fait du bien de lire autre chose que les âneries verbales stériles qui polluent tant d’autres articles d’Air Journal dès qu’un Boeing se vend quelque part dans le monde…)
Cela signifie donc que dans ce cas précis, les moteurs (ou l’APU, considérée comme un moteur ?) sont restés en marche pendant les deux heures où les techniciens de maintenance sont intervenus une fois l’avion au parking.
Que les pilotes n’aient pas pensé à disjoncter le CVR une fois au sol (et non “durant le vol” comme je l’ai stupidement écrit) est logique vu les circonstances, c’est plus ennuyeux pour les équipes de maintenance mais comme le précise 1PNT, ça amènera probablement Alaska Airlines à réviser ses procédures.
Greg765 a commenté :
12 janvier 2024 - 17 h 19 min
Dans ma compagnie, on a le « CVR CB » dans la shutdown checklist, pour nous le rappeler à la fin de chaque vol. Mais ce n’est
pas forcément le cas ailleurs.
J’ajouterais qu’il reste à voir si le fonctionnement des CVR est le même sur les appareils d’Alaska Airlines / en terre FAA. Car en principe éteindre les moteurs aurait dû couper l’enregistrement, sauf à basculer le switch du CVR sur ON, ce qui est aussi une possibilité.