L’Agence européenne pour la sécurité aérienne (EASA) a suspendu les certificats de plusieurs avions russes dont le moyen-courrier Sukhoi SSJ100 Superjet, ainsi que l’examen de futures demandes en particulier pour l’Irkut MC-21. La Russie poursuivra le développement de ce dernier, même si ce sera « plus difficile ». Sur le terrain, le régulateur déplore aussi une multiplication d’incident liés au positionnement global des avions civils.
Dans le cadre des sanctions européennes suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui interdisaient l’accès des compagnies aériennes de ce pays à l’espace aérien de l’UE, figurait déjà une interdiction complète d’exportation de biens et de technologies adaptés à une utilisation dans l’aviation et l’industrie spatiale russes, et celle de la fourniture d’assistance technique et d’autres services connexes à ces secteurs. L’EASA a détaillé cette semaine l’ampleur de ces sanctions : elle a suspendu les certificats d’avions, pièces détachées et simulateurs de vols produits en Russie, visant spécifiquement Tupolev et Irkut (désormais membres du groupe UAC comme Sukhoi et Ilyushin) ainsi que Bereiev. Des constructeurs dont aucun avion n’est actuellement opéré dans l’UE.
Parmi les modèles affectés figurent tout d’abord le monocouloir Sukhoi SSJ100 Superjet (Irkut RRJ95 selon l’agence) qui avait volé sous les couleurs de Brussels Airlines jusqu’en 2018 (les avions étaient loués chez CityJet). L’appareil entré en service en 2011 chez Armavia et déployé par Aeroflot, Red Wings et InterJet au Mexique ou plus récemment par Rossiya entre autres, a été commandé à 295 exemplaires (hors lettres d’intention) ; plus de 115 sont en service actuellement.
Chez Tupolev, on retiendra la perte de certification du Tu-204-120CE, biréacteur moyen-courrier entré en service en 1996 chez Aeroflot et produit à près de 90 exemplaires (vu chez Red Wings, Cubana ou Air Koryo entre autres). Tandis que chez Bereiev, c’est le bombardier d’eau Be-220-ES qui est ainsi sanctionné.
©Sergey RiabsevCes suspensions de certification européenne auront un impact sur l’industrie aéronautique russe, ce qu’a reconnu mercredi le vice-Premier ministre russe Yuri Borisov en visite chez Aviastar : il a déclaré dans Aerotime que le projet Irkut MC-21 (certifié en Russie en décembre dernier, attendu chez Rossiya en septembre prochain) « était désormais compliqué car il était initialement prévu de dépendre de la coopération internationale ». Mais les travaux vont continuer et même s’accélérer, a-t-il ajouté : « « Il n’y a pas de pause dans le travail des entreprises et il n’y en aura pas. Tout le monde continue à travailler », notamment sur la deuxième motorisation proposée, l’Aviadvigatel PD-14 de conception 100% russe. Les sanctions signifient que l’EASA n’examinera pas dans un avenir proche la certification u MC-21.
De son côté, le dirigeant de Rostec (qui contrôle toute l’aéronautique russe) Sergei Chemezov a évoqué selon l’agence TASS une possible relance des programmes Tupolev Tu-204 et Tu-214, mais aussi du quadriréacteur Ilyushin Il-96. « Dans le contexte de graves restrictions à l’exploitation d’aéronefs civils de fabrication étrangère, des tâches à grande échelle sont confrontées à l’industrie aéronautique nationale. De plus, ils doivent être résolus dans un délai très serré. Cela concerne principalement l’expansion de la production d’avions existants », a-t-il déclaré.
L’EASA a d’autre part publié jeudi un bulletin d’information de sécurité (SIB) avertissant d’une « probabilité accrue » de problèmes avec les systèmes mondiaux de navigation par satellite (GNSS) « dans le contexte actuel de l’invasion russe de l’Ukraine ». Quatre régions sont en particulier visées par des tentatives de « spoofing ou brouillage » depuis le 24 février : celle de Kaliningrad, entourant la mer Baltique et les États voisins ; la Finlande orientale ; la mer Noire et la « zone de la Méditerranée orientale près de Chypre, de la Turquie, du Liban, de la Syrie et d’Israël, ainsi que le nord de l’Irak ». Ces effets du brouillage GNSS et/ou de l’usurpation d’identité possible ont été observés par les aéronefs « à différentes phases de leurs vols, entraînant dans certains cas une modification de trajectoire ou même un changement de destination en raison du incapacité à effectuer une procédure d’atterrissage en toute sécurité », souligne l’EASA.
Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible de prévoir les pannes GNSS et leurs effets, reconnait l’agence, et l’ampleur des problèmes générés par une telle panne dépend de l’étendue de la zone concernée, de la durée et de la phase de vol de l’avion concerné. Le SIB de l’EASA propose des mesures d’atténuation à prendre « par les autorités nationales de l’aviation, les fournisseurs de services de navigation aérienne et les exploitants aériens » pour résoudre le problème.
Bencello a commenté :
18 mars 2022 - 8 h 55 min
J’ignorais qu’une certification pouvait être retirée pour des raisons autres que techniques, de façon aussi politique.
Certes l’EASA n’est pas la seule (la CAAC chinoise en use et abuse, la FAA a amplement allégé ses contrôles sur Boeing, la QCAA qatari a écouté son autorité de tutelle concernant l’A350), mais cela pose question sur la primauté du technique sur le politique.
Pourquoi ne pas penser demain qu’une certification a été délivrée par complaisance ?
@BENCELLO a commenté :
18 mars 2022 - 10 h 22 min
une explication non-politique est que pour qu’un certificat de type soit opérationnel, un circuit d’approvisionnement DOIT être mis en place pour le remplacement des pièces.
L’embargo empêche la vente de pièces entre Russie et UE.
Donc plus de pièce =>retrait du certificat de type.
Bencello a commenté :
18 mars 2022 - 13 h 40 min
Merci beaucoup pour cet éclaircissement technique.
GVA1112 a commenté :
18 mars 2022 - 9 h 50 min
Comment peut-on brouiller le GNSS ? .. et de manière locale ? J’ai besoin d’une expertise …
GE-VD-VS a commenté :
18 mars 2022 - 11 h 33 min
En émettant un signal imitant celui des satellites?
Greg765 a commenté :
18 mars 2022 - 13 h 31 min
Le GPS utilise 2 fréquences, 1575,2 MHz et 1227,6 MHz.
Il suffit donc d’émettre des signaux plus puissants que ceux venant des satellites sur ces fréquences et les récepteurs à proximité sont aveuglés.
Ou alors il est possible de faire du « Spoofing », type d’attaque plus sophistiquée où vous envoyez des signaux modifiés pour ne pas aveugler les récepteurs GPS mais plutôt leur faire croire qu’ils sont sur une autre position. Ça permet par exemple de détourner des drones ennemis (quand ils sont basiques).
bergeron a commenté :
18 mars 2022 - 16 h 47 min
J’attends des explications sures de l’expert aéronautique Youtube X. Tytelman, muet sur ce sujet très sensible en ce moment.