La justice européenne a retoqué les aides publiques approuvées par la Commission aux compagnies aériennes KLM Royal Dutch Airlines et TAP Air Portugal, estimant qu’elles n’étaient pas suffisamment motivées. Si ces aides ne sont pas annulées en raison du contexte de la pandémie de Covid-19, la low cost Ryanair, qui a déposé plus de 20 plaintes contre les aides de plusieurs milliards d’euros accordées aux transporteurs nationaux, se félicite de la décision.
Le Tribunal de l’Union européenne a annulé le 19 mai la décision de la Commission approuvant l’aide financière des Pays-Bas en faveur des compagnies nationales néerlandaise et portugaise pour insuffisance de motivation. « Cependant, eu égard aux effets particulièrement préjudiciables de la pandémie pour l’économie », le Tribunal a suspendu les effets de l’annulation jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par le gendarme de la concurrence. Dans le cas de KLM, qui avait reçu en juin le feu vert européen pour une aide publique de 3,4 milliards d’euros, le Tribunal « apporte des précisions quant à la portée de l’obligation de motivation de la Commission », lorsque celle-ci déclare une aide octroyée à une filiale d’une société holding (le groupe Air France-KLM) compatible avec le marché intérieur, alors qu’une autre filiale de la même société holding a déjà bénéficié d’une aide similaire (Air France, à hauteur de 7 milliards d’euros en mai 2020).
Lors de son recours en annulation de l’aide à KLM, Ryanair invoquait notamment « une violation de l’obligation de motivation par la Commission », qui aurait « omis d’exposer les raisons pour lesquelles l’aide précédemment accordée à Air France n’avait pas d’impact sur l’évaluation de la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide adoptée en faveur de KLM, alors qu’Air France et KLM sont deux filiales de la même société holding ». Selon le Tribunal, lorsqu’il y a lieu de craindre les effets sur la concurrence d’un cumul d’aides d’État au sein du même groupe, « il incombe à la Commission d’examiner avec une vigilance particulière les liens entre les sociétés appartenant audit groupe, afin de vérifier si ces dernières peuvent être considérées comme formant une seule unité économique et, donc, un seul bénéficiaire, aux fins de l’application des règles en matière d’aides d’État ».
Le jugement relève que la décision attaquée « ne contient ni éléments concernant la composition de l’actionnariat d’Air France et de KLM ni informations quant aux liens fonctionnels, économiques et organiques entre la société holding Air France-KLM et ses filiales, alors qu’elle fait apparaître que la société holding est impliquée dans l’octroi et l’administration des aides prévues tant en faveur de KLM que d’Air France. La décision attaquée n’expose pas non plus l’existence éventuelle d’un quelconque mécanisme qui empêcherait que l’aide octroyée à Air France par le biais de la société holding Air France-KLM bénéficie, par l’intermédiaire précisément de la société holding, à KLM et inversement ».
Dans ce cadre, le Tribunal rejette comme irrecevables les explications présentées par la Commission pour la première fois lors de l’audience afin de démontrer que l’aide précédemment accordée à Air France ne pouvait pas bénéficier à KLM. De plus, si la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si des sociétés faisant partie d’un groupe doivent être considérées comme une unité économique aux fins de l’application du régime d’aides d’État, elle a toutefois « manqué d’exposer de manière suffisamment claire et précise, dans la décision attaquée, l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents devant être pris en considération pour apprécier une situation complexe, caractérisée par l’octroi parallèle de deux aides d’État à deux filiales d’une même société holding, laquelle est, de surcroît, impliquée dans l’octroi et l’administration desdites aides ».
Le Tribunal juge donc que la Commission, en se limitant à constater, d’une part, que KLM était le bénéficiaire de la mesure en cause et, d’autre part, que les autorités néerlandaises avaient confirmé que le financement accordé à KLM ne serait pas utilisé par Air France, a omis de motiver à suffisance de droit la décision attaquée, et que cette insuffisance de motivation entraîne son annulation.
Les arguments de la justice européenne en ce qui concerne l’aide de 1,2 milliards d’euros à TAP Air Portugal, dénoncée en aout dernier par Ryanair, sont également basés sur un manque de motivations. Le Tribunal relève en particulier que la Commission n’a « ni constaté ni précisé si le bénéficiaire faisait partie d’un groupe », une des trois conditions à l’aide publique (si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe, deuxièmement, si les difficultés auxquelles le bénéficiaire fait face lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, troisièmement, si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par ledit groupe lui-même). Ces conditions visent à empêcher qu’un groupe d’entreprises puisse faire supporter à l’État le coût d’une opération de sauvetage d’une des entreprises qui le composent, lorsque cette entreprise est en difficulté et que le groupe est lui-même à l’origine de ces difficultés ou qu’il a les moyens de faire face à celles-ci, rappelle le jugement.
Et de préciser : la Commission n’a pas étayé « de quelque manière que ce soit ses affirmations selon lesquelles, d’une part, les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au profit de ses actionnaires ou d’autres filiales et, d’autre part, que lesdites difficultés étaient trop graves pour être résolues par ses actionnaires de contrôle ou par les autres actionnaires. La Commission s’était bornée, en fait, à fournir des précisions sur la situation financière du bénéficiaire et sur les difficultés engendrées par la pandémie de Covid-19 ».
Mais pour KLM comme pour TAP Air Portugal, le Tribunal juge que ces annulations résultent de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée, et que la remise en cause immédiate de la perception des sommes d’argent prévues par la mesure d’aide notifiée aurait eu des conséquences particulièrement préjudiciables pour l’économie et la desserte aérienne » des deux pays dans un contexte économique et social « déjà marqué par la perturbation grave de l’économie provoquée par la pandémie de Covid-19 ». Il a donc décidé de tenir en suspens les effets des annulations, « jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission ».
Dans les deux cas, un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé, devant la Cour, à l’encontre de la décision du Tribunal, dans un délai de deux mois et dix jours à compter de sa notification. Le recours en annulation vise à faire annuler des actes des institutions de l’Union contraires au droit de l’Union. Sous certaines conditions, les États membres, les institutions européennes et les particuliers peuvent saisir la Cour de justice ou le Tribunal d’un recours en annulation. Si le recours est fondé, l’acte est annulé. L’institution concernée doit remédier à un éventuel vide juridique créé par l’annulation de l’acte.
Thread! 👏
— Ryanair Press Team (@RyanairPress) May 19, 2021
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We are very pleased with today's EU Court Ruling, which has found the State Aid paid to both Air France-KLM and TAP to be in breach of EU law. https://t.co/QlHDGQZUx6
Ces décisions judicaires ont fait le bonheur de Ryanair, dont un porte-parole rappelait hier dans un communiqué : « l’une des plus grandes réalisations de l’UE est la création d’un marché unique du transport aérien. Les approbations par la Commission européenne des aides d’État à Air France-KLM et à TAP sont allées à l’encontre des principes fondamentaux du droit de l’UE et ont inversé le cours du processus de libéralisation du transport aérien en récompensant l’inefficacité et en encourageant la concurrence déloyale ».
Au cours de la pandémie de Covid-19, « plus de 30 milliards d’euros de subventions publiques discriminatoires ont été offerts aux transporteurs nationaux de l’UE. À moins d’être stoppée par les tribunaux de l’UE conformément aux décisions d’aujourd’hui, cette vague d’aides d’État faussera le marché pendant des décennies. Si l’Europe veut sortir de cette crise avec un marché unique fonctionnel, les compagnies aériennes doivent être autorisées à se concurrencer sur un pied d’égalité. Les décisions rendues aujourd’hui dans deux des plus de 20 recours déposés à ce jour devant le Tribunal sont une victoire importante pour les consommateurs et la concurrence ».
Pas de commentaire en revanche sur un troisième cas jugé hier, cette fois concernant l’Espagne : le Tribunal a confirmé que le « fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques espagnoles qui connaissent des difficultés temporaires en raison de la pandémie de Covid-19 » est bien conforme au droit de l’Union. Ledit fonds de soutien est habilité à adopter différentes mesures de recapitalisation en faveur des entreprises non financières établies et ayant leurs principaux centres d’activité en Espagne qui sont considérées comme systémiques ou stratégiques pour l’économie espagnole ; son budget financé par l’État a été fixé à 10 milliards d’euros jusqu’au 30 juin 2021. Le Tribunal explique dans son jugement que Ryanair n’a « pas établi en quoi l’exclusion de l’accès aux mesures de recapitalisation visées par le régime en cause serait de nature à la dissuader de s’établir en Espagne ou d’effectuer des prestations de services depuis ce pays et à destination de celui-ci »…
Cher Michael.... très cher...... a commenté :
20 mai 2021 - 9 h 08 min
Ryanair dont l’intégralité de la flotte est détenue par des sociétés logées dans un paradis fiscal situé au cœur des États Unis ( le Delaware ) vient donner des leçons de morale et fait appel à la justice …..
Le plus énorme est que la justice européenne lui donne raison et ferme les yeux depuis 25 ans sur l’échafaudage fiscal qu’elle a mis en place qui spolie les états européens des rentrées fiscales auxquelles ils pouvaient prétendre.
Ces rentrées fiscales qui manquent au budget des états doivent donc être compensées par les compagnies qui jouent le jeux et se retrouvent ainsi surtaxées ….
Joli tour de passe passe sur lequel ,curieusement , la commission européenne ferme les yeux depuis plusieurs décennies…..
Pourquoi ?
Pourquoi? a commenté :
20 mai 2021 - 9 h 39 min
…parce que depuis des décennies et des décennies ceux qui construisent briques après briques l’Union Européenne l’ont voulu ainsi: entièrement tournée vers la finance, la maximisation des profits et, en corollaire, des divers moyens légaux de défiscalisations à outrance…
Tout cela est dans le droit européen, tel que nous l’adoptons et acceptons lorsque, une fois tous les 5 ans on vient nous demander un « droit à poursuivre « en noyant le poisson dans un verbiage vaguement social, valeurs humaines,liberté et autre grandes et belles choses qui cachent la seule chose qui leur importe en definitive : pouvoir toujours mieux et plus bidouiller pour gagner plus
En ce sens, MOL, Ryanair, Wizz et d’autres n’ont qu’un seul vrai talent: celui de savoir denicher les opportunités que l’Europe met à leur dispositions dans des textes savamment tournés pour cela, …et ces hommes/ entreprises savent avec raison utiliser les services d’avocats financiers et d’affaires particulièrement performant. C’est là leur seul mérite!
Air France Air Chance a commenté :
20 mai 2021 - 12 h 56 min
Toujours drôle de voir des gens ayant voté Chirac, Sarko Hollande et Macron dénoncer la dérive libérale de l’Europe…
Et tout ce petit monde indigné par cette Europe votera Macron dans 1 an….
Bin a commenté :
20 mai 2021 - 14 h 13 min
C est avec grand plaisir que je lis ces commentaires je pensais être seul a constater cela oui les gens votent pour l EU et ensuite trouvent étonnant de subir cette politique mieux vaut que jamais !
private equity a commenté :
20 mai 2021 - 17 h 21 min
Mauvaise nouvelle. Sans le savoir Ryanair fait de la pub pour l’extrême droite européenne. Après le Brexit, faudra pas s’étonner si le exit font des petits …
On trouve plein de défauts à l’UE, c’est oublier que sa principale qualité a été d’éviter les guerres récurrentes entre l’Allemagne, France, Angleterre …
1870-1871
1914-1918
1939-1945
Si L’UE n’a réussi que ça , c’est déjà pas mal
Bencello a commenté :
21 mai 2021 - 9 h 38 min
Ryanair et MOL, qui contestent sans cesse toute autorité lui imposant une certaine façon de travailler (EASA, contrôleurs aériens, gouvernement irlandais…), a tout intérêt à discréditer l’UE qui, avec tous ses défauts, reste l’institution supérieure en cas de conflit juridique national non tranché (voire les condamnations de Ryanair auprès de la CJUE sur les contrats de travail).
Ryanair est basé sur un individualisme forcené, pour qui le vivre ensemble n’a aucun sens.
La seule règle respectée en interne est celle du plus fort, avec pour objectif à tout prix les milliards sur les comptes en banque du groupe, au Delaware ou sur l’île de Man..
Bin a commenté :
21 mai 2021 - 17 h 56 min
Cela démontre tout simplement que l EU sort des l’oies qu’elle est incapable de faire respecter a l intérieur des pays membres en constatant cela comment être encore un européen convaincu pareil dans tous les domaines (transport routier pêche agriculture salaires mini ect
Paul a commenté :
21 mai 2021 - 22 h 25 min
C’est toujours drôle de lire les commentaires aux articles sur Ryanair, puis de lire ceux sur d’autres journaux comme La Tribune. Deux mondes